L'événementiel comme excuse : le Tro Bro et la véloroute des Abers

Publié le 15 mai 2024

Écrit par Alex

Et si l'événementiel, ici le Tro Bro Léon, était la parfaite excuse pour tester une plus grande prise des modes actifs sur les routes de notre si belle région ?

La Véloroute littorale

Une à deux fois par semaine, nous nous rendons à Lannilis, par la D113. Cette route fait partie de celles que l'on préfère : le point de vue, la forêt luxuriante (les forêts sont rares sur notre bout de côte), les bateaux en enfilade, le vieux pont... Mais aussi de celles que l'on déteste : la cohabitation avec les automobilistes y est très compliquée, et les nombreux virages sont le lieu de dépassements dangereux systématiques.

Cela fait des mois que nous rêvons à une révolution sur cette route, une place plus importante donnée aux modes actifs, piétons et cycles... que nous rêvons d'un jour l'emprunter de manière apaisée. Et s'il y a bien un jour où ça nous a marqués plus qu'un autre, c'est celui du Tro Bro Léon amateurs...

Un peu de contexte : le Tro Bro, kezako ?

Il y a deux semaines, c'était le Tro Bro Léon. La course cycliste locale légendaire ! Diffusée sur FR3 Breizh, en Français et en Breton. Week-end de vélo (et de fête) dans le Pays du Léon donc (Tro Bro Leon = tour du pays du Léon). L'idée du Tro Bro, c'est un peu d'être L'Enfer de l'Ouest, en miroir à L'Enfer du Nord : le Paris-Roubaix. Y'a pas de pavés en Finistère, mais y a des ribines, et les ribines, ça ne se prend pas avec un vélo de route, c'est pas très confort, les Ribineurs vous le garantissent. Le Tro Bro fait partie de ces courses qui montent en puissance, mixant route et sections non-bitumées (les Ribinoù en breton) pour ajouter du piment et du sel (de mer) à la compétition.

Il y a plusieurs courses. Celle des pros, le dimanche, avec des équipes World Tour : des voitures suiveuses floquées aux couleurs des équipes, du beau monde, des motos télés et des motos d'assistance, du VIP. Il ne manque pas grand chose pour se croire sur un grand tour ou sur une vraie grosse classique de début de saison.

D'ailleurs, le Tro Bro (comme on l'appelle communément) va peut-être bientôt arriver au niveau d'une de ces grandes classiques internationales, avec ASO[1] qui en a repris l'organisation (avec la même équipe de bénévoles, néanmoins, il paraît).

Mais il y a aussi les courses des amateurs et aguerris du vélo, le samedi : la Vintage, la Gravel, la Cyclo. Vous voyez bien le principe.

Un ribine en mode course, avec toutes les indications pour les coureurs
Ce ribine, ici en habit de course, est aussi un itinéraire du quotidien pour les locaux.

Évidemment, l'organisation n'est pas tout à fait la même pour tout le monde.

Tapis rouge pour les pros

Les professionnels, avec les motos télé, l'hélicoptère, les directeurs techniques, les VIP et l'équivalent du Marc Maury du vélo au micro (désolé, je n'ai pas son nom), ont eu route fermée le dimanche. Gendarmes à moto, voitures, relais radio, commissaires de course ont garanti une organisation sans faille.

Un autre menu pour le cyclistes amateurs

La course de la veille, le samedi, n'a pas bénéficié pas du même traitement. Les cyclistes amateurs étaient priés de partager la route, et d'en respecter le code et les autres usagers. Même sur les parties où le trafic routier pourrait aisément être prié de se déporter sur les axes parallèles plus roulants. Même, donc, sur la véloroute des Abers.

Focus sur la route touristique des Abers

La route touristique des Abers, c'est un des passages incontournables de toutes les courses du Tro Bro Léon : traversant l'Aber Wrac'h entre Lannilis et Plouguerneau, c'est la route qui permet de rejoindre l'arrivée après avoir tourné dans tout le Léon.

Un peu de contexte

La D113, petite route jaune sinueuse, et la D13, grand ligne droite bleue (ou verte, je sais pas).
La D113, petite route jaune sinueuse, et la D13, grand ligne droite bleue (ou verte... je sais pas.). Image issue d'OpenStreetMaps et uMap

La route touristique des Abers, ou D113, c'est l'ancienne route principale Plouguerneau-Lannilis. Pentue, sinueuse avec quelques lacets, et pas si large au niveau du pont, elle a été doublée d'une route bien plus rectiligne il y'a 30 ans : plus directe (700 mètres de moins) et bien plus rapide (tout droit à 80 km/h), la D13. Mais ça reste le tracé "historique", un peu pittoresque, avec l'ancien pont, le port de Paluden, où se trouvent les viviers, l'auberge du même nom, ainsi qu'un très beau point de vue sur l'embouchure de l'Aber Wrac'h, et le Canada par beau-temps (avec un peu d'imagination !). Et pour de nombreux automobilistes locaux, c'est juste par là qu'ils passent, par habitude.

Difficile cohabitation

Pour faire Lannilis-Plouguerneau en voiture, il y a donc deux routes. D113 : l'ancienne, jolie, touristique et sinueuse, et D13, la nouvelle, rectiligne et directe. Sauf que la D113, "route touristique", c'est aussi la V45, la véloroute littorale. Celle que tous les cyclistes empruntent, car eux n'ont pas le choix. La V45, c'est le GR34 du vélo. Une portion du tour de France par la côte. En parlant du GR34, il passe aussi par la D113, enfin... sur la bas-côté... Oui, sur les 20cm de bas-côté de la départementale, où l'herbe pousse mal, vous avez une partie du sentier côtier, le bien connu chemin des douaniers, arpenté par des milliers de marcheurs qui préfèrent le tour de France (à pied, par la côte) au chemin de Compostelle.

Donc toute l'année, les touristes à vélo, les touristes en randonnée, les touristes en voiture, les petits allers-retours rapides au bourg, la course rapide à Leclerc ou à Weldom, et la petite virée sympa quand il fait beau le dimanche... Tous ces trajets se font sur une seule et même route. Depuis 4 mois, on ajoute (cadeau) les allers-retours à la déchetterie de Plouguerneau, coffre ouvert ou remorque bringuebalante derrière un pickup rempli, car celle de Lannilis est fermée pour travaux[2]. Ça fait beaucoup, et ça se ressent. Quand on partage notre quotidien à des locaux, ils nous demandent tous si "ça le fait, la route pour Lannilis, à vélo ?" Beaucoup nous indiquent qu'eux ne la prendraient pas.

Pourtant, cette route ne manque pas d'infrastructures cyclables, hein : quelques vélos sont peints au sol, et deux panneaux (un dans chaque sens au début de la route) indiquent que la distance pour dépasser un cycliste est d'un mètre et demi... (D'après le département du Finistère, c'est un "aménagement cyclable existant", je vous laisse juge).

Pourquoi la D113 n'a t-elle pas été déclassée au profit de la D13 quand cette dernière a vu le jour ? Dieu seul le sait. Enfin, le département seul le sait. Le fait est que depuis 30 ans, c'est toujours une départementale, et qu'en tant que telle elle est large et roulante, malgré la cohabitation avec tous les autres usagers...

Fête du vélo

Ce samedi des courses amateurs liées au Tro Bro, nous ajoutons donc 1500 cyclistes sur une route au trafic déjà bien trop dense. J'y étais. Je me suis fait doubler sur le retour de mes courses au magasin de vrac par les gravelistes, amateurs et amateurs+ du TroBro. Je doublais moi-même les vélorandonneurs chargés, qui eux-mêmes doublaient les trailers à l'entrainement, qui doublaient les randonneurs du GR34, qui doublaient les promeneurs, le tout dans une effusion de sourires et d'échanges cordiaux.

Sauf qu'au milieu de tout ça, y'avait Jean-Michel[3] avec sa remorque pleine de gravats qui avait préféré la D113 à la D13, et qui souhaitait nous doubler tous le plus vite possible, ainsi que d'autres automobilistes en promenade, petite course rapide, visite chez mamie, photo au point de vue... bref, le trafic habituel. Incompatible.

Et si, rien que pendant la demi-journée des courses du Tro Bro, on déportait les automobilistes sur une route bien plus large, moins sinueuse et dangereuse, une route qui leur est dédiée ? Le saviez-vous ? Ce premier weekend de mai, c'est aussi le coup d'envoi de Mai à vélo, un évènement national de promotion de la bicyclette appuyé par les ministères, l'ADEME[4], et regroupant de nombreux évènements locaux et/ou nationaux. Une bonne excuse, non ?

Prenons-nous à rêver

Convaincus par l'expérience du Tro Bro et de sa fermeture annuelle, les élus et associations locales planchent sur une requalification de la route touristique. Imaginons ensemble ce que ça pourrait donner...

Fermée, semi-fermée, fermée le week-end... les options ne manquent pas

Cette route, comme de nombreuses routes du littoral, je la rêve piétonne, ou semi-piétonne. Elle mérite d'être apaisée, pour que chacun, chacune puisse en profiter autrement qu'en voiture, ou avec l'attention redoublée d'une proie à découvert. Pour cela, plusieurs voies s'ouvrent à nous :

  • L'interdiction du trafic de transit : réserver la route au trafic de destination (je rentre chez moi, je vais au aux viviers ou au resto qui est le long de la route).
  • Le passage en sens unique : On pourrait ainsi requalifier la seconde moitié de la route en véloroute V45 et en GR34. Les randonneurs auraient enfin un parcours dédié.
  • Un système d'écluses : nous pourrions garder un double sens automobile, mais récupérer deux à trois mètres sur les six de large de cette départementale pour les modes actifs, et tracer régulièrement des écluses qui permettrons aux véhicules motorisés de se croiser. De nombreuses routes irlandaises et écossaises utilisent ce système, parce que la largeur ne permet pas mieux, et qu'elles sont peu utilisées.
  • Une simple réduction de la largeur consacrée aux automobiles : si cette route est déclassée, plus besoin des 6 mètres pour les voitures. Nous en prenons 2 pour les modes actifs et en laissons 4 aux automobilistes, qui pourront toujours rouler et se croiser, mais à vitesse bien plus faible. C'est moins engageant et moins sécurisant pour les cyclistes et marcheurs, mais ce serait déjà ça.
Route de campagne avec zone de dépassement
Route de campagne avec zone de dépassement. Source: Wikimédia

Inspirations

De nombreuses routes littorales sont dans un cas similaire à cette route touristique. La ville de Cannes à entrepris un embellissement de son front de mer, avec une attention particulière à la circulation piétonne et cyclable. La zone est bien plus dense en population, et le trafic doit être bien plus important que celui entre Plouguerneau et Lannilis. Pourtant, cette portion de front de mer est passée en sens unique. Tout le monde en profite, les commerçants les premiers.

Cette route deviendrait célèbre si on la savait bien moins fréquentée, et locaux et touristes prendraient plaisir à venir l'arpenter à pied, à vélo ou même en voiture s'il y en a moins, pour boire un verre en terrasse au pied de l'aber (aujourd'hui, point de terrasse, vous imaginez bien).

Et l'avantage ne serait pas que touristique. Des personnes habitant ici depuis longtemps, cyclistes au quotidien, ont fait ce trajet à vélo, avec nous, pour la première fois de leur vie, sous notre impulsion. Ce n'est pas une route qu'on prend facilement à vélo. On ne s'imagine pas qu'elle est praticable (et je le conçois très bien). Elle fait peur, même aux locaux. Sa transformation viendrait révolutionner la mobilité entre Plouguerneau et Lannilis, deux villes entre lesquelles les échanges sont très nombreux (travail, écoles-collèges-lycées, commerces...).

Ce serait enfin lier l'utile pour les locaux, à l'agréable pour les touristes.

Le Tro Bro comme excuse

Allez, on essaie une journée en 2025 ?

On pourrait, pour l'occasion, créer un "Tro Bro Familles", et proposer à tous, pour la première fois, d'aller de Plouguerneau à Lannilis à vélo, sans trafic automobile. Une sorte de Vélorution locale, où petits et grands pourraient enfin emprunter cette route autrement, et découvrir ce qu'on ne voit jamais en voiture, mais qu'on ne peut rater en vélo.

J'imagine déjà cette masse de vélos du quotidien, d'enfants à biclou, de jeunes et de vieux, assistés électriquement ou non, parcourir la descente avec appréhension, et s'encourager dans la montée, quitte à marcher sur une ou deux portions, et se retrouver au centre de Lannilis pour une belle fête du vélo. Fête qui correspondrait miraculeusement avec le lancement en grande pompe de Mai à vélo.

Le Finistère, pays du vélo ?


  1. Agence de l'Energie, de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie. Elle finance et organise de nombreux projets et évènements, dont Mai à vélo. ↩︎

  2. Les travaux d'extension de la déchetterie de Lannilis sont qui plus est rallongé, suite à la découverte d'une espèce rare d'escargots sur le site, qu'il faudra déplacer. ↩︎

  3. Désolé d'avance à tout les Jean-Michel. J'ai un ami qui s'appelle Jean-Michel. Il n'a pas de voiture, et je l'aime beaucoup. J'espère que les Jean-Michel ne souffriront pas de cet abus de langage et m'engage à retirer toute allusion à Jean-Michel, sur demande (et à condition que l'on m'aide à trouver une alternative aussi parlante). ↩︎

  4. ASO : Amaury Sport Organisation est une société d'organisation d'évènements sportifs. C'est un géants du secteur. Ils organisent notamment le Tour de France, Paris-Roubaix et le Tour d'Espagne, mais aussi Le Marathon de Paris et celui de Barcelone, ou Le Rallye Dakar (anciennement Paris-Dakar). ↩︎